« Barbara Christol », par Céline Piettre

Dans un coin de l’atelier, un monticule de pelotes de laine achetées du temps où l’artiste étudiait à Paris, dans un magasin qui cédait son stock, non loin de la Sorbonne. C’était avant la résidence au Chili, avant la collaboration avec la chorégraphe Kirsten Debrock, avant le retour à Nîmes, la ville natale finalement élue territoire de l’atelier. De la laine douce, bleue comme l’enfance. Azur intime, patrie affective – ou plutôt matrie, celle dont parlait Chateaubriand pour décrire ses racines bretonnes. Dans les tableaux, le ciel ne devint bleu qu’au Moyen-Âge, nous a appris l’historien Michel Pastoureau, avec le développement du culte marial. A l’époque, le bleu était considéré comme une couleur chaude, qui élève (symbole royal) et console, par sa lumière. Dans la pratique de Barbara Christol, ce bleu (légèrement délavé, comme par le temps) va venir redessiner les lieux au gré d’une opération de tissage et de détissage ; adoucissant les arêtes d’une table, d’un escalier ; personnalisant les espaces standardisés — comme lors d’une résidence au long cours dans un collège, les élèves ayant été invités à se réapproprier un environnement qui leur est imposé de fait, et que beaucoup ont fini par détester. Pendant le confinement, l’artiste visionne des tutos sur internet à la recherche de nouvelles techniques : elle s’offre alors une maille épaisse, charnue, qui ne cherche pas à tout prix le motif. Suffisamment lâche pour enlacer sans ensevelir. Une couverture – toujours fabriquée avec la même réserve de laine – qui se blottit dans les architectures et dans laquelle le corps se love, qui répare et qui soigne – dans la lignée de Beuys – avant de finalement reprendre sa place dans l’atelier, remplissant le vide, ou plutôt l’absence.

I Wish You Were There

Le bleu surgit aujourd’hui dans les peintures géométriques. Effraction de l’affect dans un univers de noirs mats ou de bruns sableux tirés au cordeau, créant une légère dissonance. Une évolution de la palette qu’accompagne une certaine libération du geste, qui ose des boucles plus organiques, tracées à main levée quand le compas – l’artiste les collectionne – ordonnait jusqu’ici la composition. Les papiers millimétrés (dont les feuilles, là encore, sont conservées bien souvent depuis l’école selon une écologie affective) accueillent un autre registre de sensible, une fragilité nouvelle, porteuse d’une grande vitalité. Dunes, pyramides, jeux arithmétiques, ébauche de villes ou de cosmos s’actionnent, ravivant la mémoire de la couche picturale. Une mémoire vive qui n’est pas de l’archive. Un geste qui s’amplifie en même temps que croît le format du tableau, lui-même contingent de l’espace disponible à l’atelier : un moyen pour Barbara Christol d’apprivoiser le châssis, elle qui dit « aimer le dessin en peinture (celle-ci l’impressionne toujours un peu) et inversement ».

Aujourd’hui associée au compositeur et musicien Fabien Tolosa, et en partenariat avec France Alzheimer, elle cherche un langage commun pour dire la maladie – celle de sa mère –, la perte d’identité et la possibilité d’autres présences au monde. Pensée comme nomade, la future installation MEM.MORI réunit des objets et des sons récupérés comme autant de récits autobiographiques sans début ni fin, de souvenirs anonymes, rapiécés ensemble. On sait aujourd’hui, grâce aux neurosciences, que la mémoire n’a pas de siège au sein du cerveau, que le processus d’encodage implique les connexions neuronales – ce réseau tentaculaire – et les échanges chimiques. MEM.MORI fonctionne ainsi, pour et par la mise en circulation, petite usine à fabriquer de l’interaction, point de départ d’un travail de médiation qui s’exportera ensuite dans les hôpitaux, les EPHAD. Une façon de « répondre à ce qui arrive », pour reprendre les mots de Vinciane Despret à propos du programme des « Nouveaux commanditaires ». Une réponse qui pourrait déborder la question. Une fabulation.

Céline Piettre (journaliste, La Gazette Drouot)